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Jeudi 26 octobre 1989, 00 h 00
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Parution du journal Le Nouveau Détective
By Dana
Entretien du 21 octobre 1989 paru le 26 octobre.
INTERVIEW
EXCLUSIVE
DU JUGE SIMON
C'est un sphinx. Dans son regard impénétrable, rien ne transparaît des secrets du président Simon. Il détient, on le sait, la clef de l'énigme. Pourtant, il tait obstinément les noms des assassins de Grégory, des noms que tout le monde brûle de connaître.
L'homme qui ne parle pas, celui qui n'accorde jamais d'interview, m'a donné rendez-vous à 10 heures du matin, ce samedi 21 octobre. Pourquoi ? Dès 6 heures, je rôde autour du palais de justice de Dijon. Pas âme qui vive... Toutes les quinze minutes, la pendule du beffroi résonne sur la place déserte. Enfin, 10 heures sonnent. Le président Simon m'attend.
Sa porte s'ouvre sur une pièce illuminée par deux hautes fenêtres. Un seul ornement : les photos de ses petits-enfants posées en évidence sur une table basse. Il me fait asseoir face à lui, sur cette chaise où les coupables se succéderont un jour. Il a fermé la porte à double tour et a décroché son téléphone. Installé derrière son bureau, il m'observe en souriant :
— Je fais confiance aux gens, à leurs yeux, dit-il... Si nous parlions tous les deux ?
Le Nouveau Détective : En quoi l'affaire Grégory ne ressemble-t-elle à aucune autre ?
Le président Simon : L'enjeu, c'est avant tout la mort d'un enfant ; un enfant disparu dans des conditions effroyables. L'enjeu, c'est aussi le sort d'une mère. Si elle n'est pas coupable, ce qu'a enduré Christine Villemin est effroyable. J'y pense tout le temps. L'enjeu, c'est encore, ne l'oublions pas, Bernard Laroche qui, dans cette affaire, a perdu la vie.
N.D. : Quand pensez-vous boucler le dossier ?
Le président Simon : J'aimerais que ce soit fini à Noël. À cette date, le procureur général Estrangin partira à la retraite. Il a vécu l'affaire Grégory depuis le début. Il en connaît comme moi tous les protagonistes. Et il a toujours été respectueux de mon indépendance, toujours d'une grande loyauté. J'ai pour lui beaucoup d'admiration. C'est pourquoi mon plus grand souhait serait que l'affaire soit réglée au moment de son départ.
N.D. : On dit que vous avez déjà entendu cent quatre-vingt témoins...
Le président Simon : C'est vrai. J'aime travailler dans le concret. J'avais besoin de voir les visages des principaux protagonistes, de rencontrer tous les acteurs du drame. Je les fais parler petit à petit. J'écoute beaucoup. Je les laisse raconter pendant des heures. Je les rencontre chacun cinq ou six fois. Puis, je passe leurs témoignages au crible de façon impitoyable. Qui a dit un jour : "Personne n'a assez de mémoire pour réussir un mensonge" ? Le temps est mon allié.
N.D. : Justement... Certains vous reprochent votre lenteur.
Le président Simon : Je me moque de ce qu'on peut dire. Ce qui est sûr, c'est que j'ai dû attendre longtemps avant de pouvoir entendre certains témoins (N.L.D.R. : invoquant différentes raisons, Marie-Ange ex-Laroche et Murielle Bolle, convoquées par le juge dès l'automne 87, n'ont commencé à se rendre à ses convocations qu'à partir du mois de mai 89). Cela dit, ajoute le juge avec un peu de malice, cette attente n'a pas été infructueuse, loin de là. J'en ai profité pour procéder à certains recoupements utiles.
N.D. : Par exemple ?
Le président Simon : Eh bien ! sur la passerelle de Docelles, à 17 h 28, le soir de l'assassinat de l'enfant, un témoin a vu une tache bleue sur la rivière. Ce témoin, je l'ai réentendu plusieurs fois pour savoir si ce qu'il a vu correspond à l'anorak bleu de l'enfant, qui est orné de bandes réfléchissantes jaunes.
N.D. : L'exemple que vous nous donnez n'est pas neutre. N'est-il pas le point capital de l'enquête ? En effet, si ce n'est pas Grégory que ce témoin a vu dans la rivière à 17 h 28, alors il est probable que l'enfant a été noyé beaucoup plus tard. C'est ce que vous pensez, n'est-ce pas ?
Le président Simon : En effet. C'est pour moi l'hypothèse la plus probable.
N.D. : Ce que vous dites, vous ne l'ignorez pas, innocente Christine Villemin. En effet, à partir de 17 h 30, elle était en train de chercher son fils en compagnie d'une dizaine de personnes...
Le président Simon (Après un long moment, sans cesser de me fixer) : C'est vrai. Dans ce cas, Christine est hors de cause.
N.D. : Va-t-elle très bientôt bénéficier d'un non-lieu, comme l'affirme Me Garaud, son avocat ?
Le président Simon : Me Garaud est seul responsable de ses propos. Quant à moi, je serais bien incapable de fixer un délai. C'est à la chambre d'accusation de prendre une telle décision.
N.D. : Si ce n'est pas Christine l'assassin, alors, qui est-ce ?
Le président Simon : Si l'hypothèse selon laquelle le meurtre a été commis après 17 h 30 est établie – et l'on peut déjà considérer qu'elle l'est d'ores et déjà –, alors, vous avez raison, il faut à présent trouver le coupable. J'ai considérablement avancé. J'ai obtenu une masse d'informations...
N.D. : ... qui vous conduisent à un certain nombre de certitudes...
Le président Simon : Oui. Je pense qu'ils étaient plusieurs à commettre le crime. Mais je me refuse à procéder à des inculpations et à des arrestations dans le but de faire "craquer" les prévenus.
N.D. : Est-ce à dire que vous n'espérez pas d'aveux ?
Le président Simon : On espère toujours des aveux. Mais pas forcément dans le sens où vous l'entendez. L'avez permet au coupable d'expliquer son geste. Au juge, il permet de remonter dans l'histoire de sa vie, de le comprendre. Pour prendre la mesure exacte de la responsabilité du criminel, le tribunal, qui a la responsabilité de juger, a besoin de ces éléments humains. En avouant, le criminel peut espérer une meilleure compréhension que s'il était jugé à partir d'un simple faisceau de présomptions.
N.D. : Parmi les certitudes que vous avez acquises, il y a celle du mobile. Il faut le chercher, paraît-il, dans une rivalité familiale qui remonte à deux générations ?
Le président Simon : Sur cette question, je ne suis pas encore vraiment fixé. En fait, j'ai trois hypothèses et je ne peux pas encore trancher entre les trois.
N.D. : Toutes trois conduisent à Bernard Laroche. Selon vous, c'est lui, l'assassin, n'est-ce pas ?
Le président Simon (Silence. Il se recule sur son siège et me considère à distance. Puis, il revient à sa position initiale, sans cesser de me fixer.) : Bernard Laroche a peut-être enlevé Grégory. De là à être son assassin, il y a un pas que, pour le moment, je ne peux pas franchir. Je n'ai aucune preuve montrant que c'est lui.
N.D. : Grégory est-il le fils de Bernard Laroche ?
Le président Simon : Morphologiquement, c'est impossible : un orteil de Grégory présente une particularité que l'on retrouve chez son père et son grand-père.
N.D. : Bernard Laroche était-il l'amant de Christine Villemin ?
Le président Simon : Non.
N.D. : Vous avez déclaré que Jean-Marie Villemin, en assassinant Bernard Laroche, avait commis un crime "passionnel". Qu'entendiez-vous par là ?
Le président Simon : Je n'ai pas pu faire cette déclaration, car rien, aujourd'hui, ne permet de dire que ce crime était passionnel. (Après un instant de silence, le magistrat reprend, rêveur). J'ai été voir Jean-Marie Villemin deux jours de suite quand il était encore incarcéré à la prison de Saverne. Son visage était blanc. Il semblait très marqué par sa détention : "C'est formidable, m'a-t-il dit, je peux parler et vous m'écoutez." C'est ce qui m'intéresse dans ce métier de juge d'instruction : écouter, aider quelqu'un de malhabile à s'exprimer ; lui donner la possibilité, la liberté de s'expliquer. Sans sympathie ni antipathie d'aucune sorte. Simplement créer ce dialogue. Juger, après, ce n'est pa(s m)on affaire. C'est l'affaire des tribunaux. Ce qui me passionne, moi, c'est conduire une personne humaine à réfléchir sur son acte. Il m'est arrivé, figurez-vous, de demander des non-lieux pour des personnes sur lesquelles j'avais des doutes. En revanche, je savais que ces personnes, pourvu qu'on leur laisse une chance, pourraient s'en sortir. Le tribunal m'a toujours écouté et compris mes raisons.
N.D. : Ce métier a-t-il été une vocation pour vous ?
Le président Simon (Il sourit.) : Non ! Je voulais être pilote de chasse. Pour devenir pilote dans l'aéropostale. La lutte de ces hommes dans la nuit m'a toujours fasciné, mais j'ai dû bifurquer.
N.D. : Pour un métier qui n'est pas sans risques non plus. Depuis que vous êtes chargé du dossier Grégory, vous avez reçu de(s) menaces, je crois...
Le président Simon : C'est vrai. Cela fait partie du jeu. (Son visage s'assombrit.) J'ai reçu 800 ou 900 lettres anonymes. Certaines d'entre elles sont assorties d'articles de presse émettant une opinion sur l'affaire. Ces lettres me suggèrent en général une solution à l'enquête. D'autres – la moitié – sont constituées, essentiellement, d'insultes. Car la malveillance, malheureusement, est plus répandue que la bienveillance. Quelle que soit la façon dont l'affaire sera résolue, il y aura toujours un certain nombre de gens que je ne parviendrai pas à convaincre. Cette affaire a été tellement médiatisée que les gens se sont d'ores et déjà forgé leur opinion et qu'ils ne changeront plus de point de vue. C'est très difficile de reprendre une instruction après un autre juge. Certains me reprochent d'être systématiquement "anti-juge Lambert". C'est faux. Je n'ai pas de critique à faire à mon prédécesseur. Moi-même, je n'ai pas baigné dans l'atmosphère qui était celle du début de l'enquête. Je n'ai pas subi les pressions qu'a subies le juge Lambert. Tous les deux, nous avons des méthodes différentes, c'est tout. Jamais, contrairement à ce que m'écrivent certains, je n'ai prétendu donner une leçon à un "jeune". D'ailleurs, je n'ai de leçon à donner à personne. Dans certaines autres lettres que j'ai reçues, il y a des déferlements insensés. Certains donnent libre cours à des perversions sexuelles ignobles parce qu'il y a une femme dans cette affaire. D'autres me disent qu'à mon âge on est gâteux. L'âge n'est qu'une convention. On conserve sa jeunesse quand on est curieux. On vieillit quand on n'est plus curieux.
N.D. : Vous avez reçu quatre lettres particulièrement inquiétantes, paraît-il ?
Le président Simon (Après un long silence.) : En effet, la dernière de ces lettres contient des menaces terribles...
N.D. : Lesquelles ?
Le président Simon : Il était écrit que le meilleur tireur de la famille allait s'occuper de moi. Mes gardes du corps ne me serviront à rien car, me précise mon correspondant anonyme, "le tueur connaît à la fois le jour et le lieu où je serai abattu".
N.D. : Quand les avez-vous reçues ?
Le président Simon : Il y a cinq mois. Ce qui est intriguant, c'est que ces lettres contiennent des références précises à l'affaire. Des précisions que seul peu de gens peuvent connaître. Et elles ont toutes été postées au même endroit.
N.D. : Dans les Vosges ?
Le président Simon ne répond pas.
N.D. : Avez-vous pris des mesures de sécurité ?
Le président Simon : Non, je n'ai rien changé à mon mode de vie. Je n'ai pris aucune mesure de protection rapprochée. Si on avait voulu me descendre, on aurait pu le faire 500 fois avec beaucoup de facilité. Ma vie est entièrement dévouée à mon combat. Ce ne sont pas les menaces sur ma personne qui m'inquiètent.
N.D. : D'autres que vous étaient-ils visés ?
Le président Simon : Malheureusement oui. J'ai trois enfants et sept petits-enfants. Et certaines de ces lettres font allusion à mes petits-enfants. (À côté du président, sur un(e) table basse, les photos de ses petits-enfants sont exposées.) Ces menaces ne sont pas à prendre à la légère, poursuit le magistrat, si l'on se souvient que c'est un petit garçon qui a été assassiné dans le dossier que je suis en train de traiter. C'est un procédé vil que d'atteindre quelqu'un dans ce qu'il a de plus cher. (Un temps de silence, puis il reprend après une hésitation.) Ce qui me trouble, c'est que seuls Albert et Monique connaissent l'existence de ma famille.
N.D. : Avez-vous une idée de la provenance de ces missives ?
Le président Simon : Non... Mais dans l'affaire Grégory, le meurtrier est près d'être découvert... Et il est certain que les gens n'ont jamais envie de voir leurs petits scandales familiaux au grand jour. Cela ne peut que les meurtrir. Le secret de la vie des gens, quand on y plonge, c'est douloureux. On ramène à la surface des vieilles histoires, des liaisons qui ont existé ou qui n'existent plus.
N.D. : Comment assurez-vous la protection de vos petits-enfants ?
Le président Simon : J'ai prévenu leurs parents qu'ils les surveillent bien ; qu'ils ne les laissent pas sortir de l'école avec n'importe qui. En ce qui me concerne, je crois, comme écrivait la romancière Han Suyn, que j'aime beaucoup, que "la douceur est une armure". J'oppose à ce déferlement de violence la douceur. C'est ça mon armure.
N.D. : Ne regrettez-vous pas parfois d'avoir accepté de prendre en charge ce terrible dossier ?
Le président Simon (Il sourit.) : Il est vrai que je ne peux attendre que des ennuis dans cette affaire. Et guère d'avancement puisque je suis en fin de carrière ! Avancement que je n'ai pas cherché. J'ai préféré vivre dans une ville que j'aime. Mais je n'ai jamais de regrets. La vie apporte sans arrêt des enseignements. Je me suis enrichi à travers ces êtres que j'ai fouillés jusqu'au fond de l'âme.
N.D. : Ne pensez-vous pas que tous ceux qui approché cette affaire en ont été transformés ?
Le président Simon : Sans doute. Dans cette histoire, l'horrible se mêle au mercantilisme le plus effréné. Ceux qui s'y sont mêlés ont été bousculés par les forces du mal. Quant à moi, le dossier m'occupe l'esprit en permanence. Même lors de mes promenades solitaires dans les forêts d'automne. J'ai peur. Non pas des menaces auxquelles vous faisiez allusion tout à l'heure. Plus simplement, j'ai peur de me tromper. Mais un juge qui n'éprouve pas cette peur est un mauvais juge, je crois.
Propos recueillis par :
Jean-Paul PRADIER
L'itinéraire d'un juge
Il est le personnage le plus en vue depuis des mois, celui dont on pèse la moindre parole, dont on dissèque chaque phrase qu'il a prononcée. Depuis qu'il a été chargé du dossier de l'affaire Grégory, le président Simon est devenu, malgré lui, une vedette.
Il est surtout et avant tout un magistrat exemplaire. Né en 1923, il a entamé sa carrière dans la magistrature en 1949. Il a appartenu à différents parquets, principalement situés dans le nord de la France. En 1961, il arrive à Dijon et prend bientôt en charge des dossiers délicats. En 1969, il préside à la révision du procès de Jean-Marie Deveaux, un boucher lyonnais condamné à tort le 7 février 1953 à vingt ans de réclusion criminelle pour le meurtre de la fillette de son patron, découverte égorgée. Le juge Simon prend alors conscience de l'horreur de l'erreur judiciaire. De ce triste exemple, il tirera sans doute son souci méticuleux du moindre détail. En 1982, le voilà titulaire du poste de directeur de l'École nationale des greffes de Dijon, une institution qui forme le personnel administratif de la justice. On pouvait penser qu'après avoir obtenu ce titre une retraite bien méritée l'attendait. Il avait réussi une brillante carrière et préservé sa vie privée. Marié, père de trois enfants, grand-père de sept petits-enfants, il aurait pu leur consacrer enfin tout son temps.
Le 5 novembre 1987, le magistrat est chargé de l'affaire Grégory, et le voilà sous les feux de l'actualité. Désormais, sa haute silhouette et ses cheveux blancs sont devenus célèbres, presque quanta que sa prudence à se jouer des obstacles. Ce qu'il n'avoue jamais, ce sont les heures, les nuits passées à éplucher les dossiers, à soupeser les témoignages, à les réévaluer. Plus que quiconque, il sait que la nature humaine est fragile et que l'innocence ou la culpabilité d'un être ne tient souvent qu'à un fil ou un mot...
HISTORIQUE
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